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Le Prolétaire

Agénor ALTAROCHE – 1833

Cette chanson – dont je n’ai pu retrouver aucun enregistrement – est intéressante à plus d’un titre. Dès 1833, elle évoque une conscience de classe ouvrière, ce qui en fait une des première, ma connaissance. Elle met en lumière de manière très directe les inégalités sociales qui frappent le XIXè siècle : inégalité de vie (bien sur), d’accès à l’éducation, face à la chose militaire et à la conscription, devant l’impôt, pour le vote (et donc citoyenneté). Le dernier couplet annonce la guerre sociale face aux « oisifs » (qui sont bien entendu les capitalistes et les actionnaires).

En cette première moitié du XIXè siècle, la conscience de classe prolétaire est plus le fait de ce qu’on appellerai maintenant les « classes moyennes inférieurs » (notion complètement anachronique – eux même se sentant prolétaires) : journalistes (comme Altaroche justement), petits employés, artisans, petits commerçant, … Les ouvriers proprement dit n’ont, bien souvent, pas encore le loisir de se politiser et de prendre conscience des notions qui accompagne celle-ci. Les syndicats ne seront autorisé officiellement qu’en 1883 et les cadences de travail (12 heures par jours !) ne permettant que très difficilement cette prise de conscience politique.

Le Prolétaire

Agénor ALTAROCHE – 1833

1.
Prolétaire ! voici le jour !
C’est assez dormir : le temps presse ;
Le travail doit avoir son tour.
Pour toi le repos c’est paresse,
C’est paresse !
Quand le riche sommeillera
Pendant la matinée entière,
Ton bras endurci gagnera
Tout juste le pain nécessaire
Pour alimenter ta misère !
Allons, sème bon, prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

2.
Au milieu de rudes travaux,
Le vin serait d’utile usage :
Il procure l’oubli des maux :
Il rend la force et le courage,
Force et courage.
Quand le riche à sa table aura
Le bordeaux, l’aï, le madère,
Ta lèvre ne s’humectera
Que d’aigre piquette ou de bière
Qui paie autant à la barrière !
Allons, sème bon, prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera !

3.
Lorsque la loi te fait majeur,
Surgit une dette nouvelle,
Le capitaine recruteur
Sous les drapeaux déjà t’appelle,
Il t’appelle.
Quand le riche s’affranchira
A prix d’or, de ce joug sévère,
C’est ton corps qui le subira,
Et tu quitteras ton vieux père
Pour marcher le pas militaire !
Allons, sème bon, prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera !

4.
Epoux et père, un jour tu veux,
Dans ta sage sollicitude,
Voir tes enfants laborieux
Vouer leur jeunesse à l’étude,
A l’étude.
Du riche quand le fils sera
D’un collège pensionnaire,
Bien heureux le tien se croira
Si, dans une école primaire,
Il trouve alphabet et grammaire !
Allons, sème bon, prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera !
5.
Quand le premier du mois paraît,
Survient un percepteur avide ;
Et le recors est là tout prêt,
Si par malheur ta bourse est vide,
Ta bourse est vide.
Cet impôt, que ta main paiera
Aux dépens de ton nécessaire,
Le riche seul le votera ;
Car tu n’as qualité pour faire
Ni ton député, ni ton maire...
Allons, sème bon, prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera !

6.
Quand la mort, unique pouvoir
Devant qui l’égalité règne,
A vos portes viendra le soir
Apposer sa lugubre enseigne,
Sa noire enseigne,
Un cortège nombreux suivra
Du riche le char funéraire ;
Mais ton chien seul te conduira,
Sur ton humble et triste civière,
Jusqu’à ta demeure dernière !
Allons, sème bon, prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera !

7.
Au nom du plus saint des devoirs,
Tonne un jour le canon d’alarme !
Tes bras velus et les doigts noirs
Sauront seuls soulever une arme,
Brandir une arme.
Puis, quand bientôt s’amortira
L’éclat de foudre populaire,
Alors le riche sortira
De sa retraite salutaire
Gueusant un effronté salaire !
Allons, sème bon, prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera !

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