Historien – Reconstituteur – Conférencier – Médiateur culturel

Charles D’AVRAY

Charles-Henri JEAN (dit Charles D’AVRAY) 1878 – 1960

Pour cette première publication de 2025, je ne vais pas vous parler d’une chanson mais d’un chansonnier. Fils d’un architecte, il monte à paris jeune adulte et s’inscrit au Conservatoire de Musique. Rapidement il compose ses premiers textes. Il commence à fréquenter au moment de l’affaire Dreyfus les cercles anarchistes où il rencontre Sébastien Faure (un autre chansonnier) qui aura une grande influence sur lui. Il commence alors une carrière de chansonnier anarchiste, chantant ses convictions qui ne le quitteront plus.

Il se met à parcourir la France en tout sens, organisant des conférences sociales et politiques par la chanson, commentant et discutant les thématiques qu’il aborde dans ses œuvres et participe en 1905 à la création de « La Muse Rouge », un groupe de propagande révolutionnaire par les arts. Mobilisé en 1914, il sera rendu à la vie civile en 1919, reprenant sa vie de conférencier chantant.

J’ai une grande tendresse pour cet auteur de plus de 1000 (!) titres (j’ai même trouvé plus de 3000 !). De fait ses textes ont une portée évocatrice très percutante, alternant la revendication la plus ferme et l’appel au combat, la douceur, la tendresse et une certaine mélancolie.

Je n’ai hélas pas trouvé d’enregistrement pour les quatre textes que je vous propose ci dessous : « Chanson pour les petits d’Espagne » et « Loin du rêve » ont malheureusement échappé à mes recherches. Mais je vous laisse apprécier ceux de « L’idée » et du « Triomphe de l’anarchie ».

L’idée – 1898

Claude REVA – Rosalie DUBOIS Chant d’espoir et de révolte

Tiens, bonjour petit
Poupon bien gentil
Sans idée
Déjà ta maman
Chante en te berçant
Une idée

Quand à ton papa,
Il songe déjà
À ce qu’il pourra
Mettre en ton idée
Et journellement
Tout doucettement,
Joyeux il t’apprend
Quelle est son idée.

Mais tu grandiras
Tu réfléchiras
À l’idée
Qu’un jour tu devras
Chercher dans le tas
Une idée.

Surtout petit gars,
Ne te presse pas
Marche à petit pas,
Fouille chaque idée :
Observe beaucoup
Raisonne surtout
Puis en risque tout
Choisis une idée.

Et quand tu l’auras
Tu la muriras
Par l’idée
Tu corrigeras
Et modifieras
Cette idée ;
Si par un beau soir
Grâce à ton savoir
Tu peux entrevoir
Une grande idée :
On te dira fou
Qu’importe après tout,
Tu devras partout
Semer cette idée

On t’arrêtera
Lorsque l’on craindra
Ton idée,
Peut-être en prison
Te jettera-t-on
Pour l’idée ;

Puis un magistrat
T’interrogera,
Et condamnera
Enfin ton idée
Tu te récrieras
Et te révolteras.
Alors tu verras
Où mène l’idée.

Qu’est-ce que souffrir
Et même mourir
Quand c’est pour une idée :
Si l’homme paraît
Passe et disparaît
Constatons un fait :
Il reste l’idée.

Le triomphe de l’anarchie – 1901

Marc OGERET – Chansons « contre »

1
Tu veux bâtir des cités idéales,
Détruis d’abord les monstruosités.
Gouvernements, casernes, cathédrales,
Qui sont pour nous autant d’absurdités.
Dès aujourd'hui, vivons le communisme
Ne nous groupons que par affinités
Notre bonheur naîtra de l’altruisme
Que nos désirs soient des réalités

[Refrain]
Debout, debout, compagnons de misère
L’heure est venue, il faut nous révolter
Que le sang coule, et rougisse la terre
Mais que ce soit pour notre liberté
C’est reculer que d’être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher


2
Empare-toi maintenant de l’usine
Du capital, ne sois plus serviteur
Reprends l'outil, et reprends la machine
Tout est à tous, rien n’est à l’exploiteur
Sans préjugé, suis les lois de nature
Et ne produis que par nécessité
Travail facile, ou besogne très dure
N’ont de valeur qu’en leur utilité

[Refrain]

3
On rêve amour au-delà des frontières
On rêve amour aussi de ton côté
On rêve amour dans les nations entières
L’erreur fait place à la réalité
Oui, la patrie est une baliverne
Un sentiment doublé de lâcheté
Ne deviens pas de la viande à caserne
Jeune conscrit, mieux te vaut déserter

[Refrain]
4
Tous tes élus fous-les à la potence
Lorsque l’on souffre on doit savoir châtier
Leurs électeurs fouaille-les d’importance
Envers aucun il ne faut de pitié
Eloigne-toi de toute politique
Dans une loi ne vois qu’un châtiment
Car ton bonheur n’est pas problématique
Pour vivre heureux Homme vis librement

[Refrain]

5
Quand ta pensée invoque ta confiance
Avec la science il faut te concilier
C’est le savoir qui forge la conscience
L’être ignorant est un irrégulier
Si l’énergie indique un caractère
La discussion en dit la qualité
Entends réponds mais ne sois pas sectaire
Ton avenir est dans la vérité

[Refrain]

6
Place pour tous au banquet de la vie
Notre appétit seul peut se limiter
Que pour chacun, la table soit servie
Le ventre plein, l’homme peut discuter
Que la nitro, comme la dynamite
Soient là pendant qu’on discute raison
S’il est besoin, renversons la marmite
Et de nos maux, hâtons la guérison

[Refrain]

Chanson pour les petits d’Espagne – 1936

Les canons gueules béantes
Grondent autour des berceaux,
Sur le sole des chairs gluantes,
Et du sang dans les ruisseaux.
Une horde autoritaire
Sabote l'humanité,
Et le sang du prolétaire
Coule pour la liberté.

[Refrain]
Mamans! Mamans! Aux tout petits d'Espagne,
Ouvrez vos bras ! Offrez vos coeurs !
Jusqu'au bout de cette dure campagne ;
Quand les papas seront vainqueurs.
La liberté se gagne par les armes,
Mais pas à pas, au jour le jour ;
Tendres mamans en essuyant leurs larmes,
Aux petits d'Espagne offrez votre amour.


Des villes et des villages
Journellement sont détruit,
Femmes, enfants de tous âges
Fuient à la faveur des nuits.
A l'abri de quelques roches,
On ose espérer encore,
Un seul ; but sauver les mioches !
Pour soi ; qu'importe la mort.
[Refrain]

Quoi ! vous pleurez imbéciles,
Sur la civilisation,
Vos larmes de crocodiles
Cinglent la "révolution"
Nous combattons pour la chute
Du règne des dictateurs,
Et ne cesseronsla lutte,
Que, quand nous serons vainqueurs.

[Refrain final]
Mamans! Mamans! Aux orphelins d'Espagne,
nous offrirons nos bras ! Nos coeurs !
Et tour à tour, Ô sublîmes compagnes,
Nous veillerons à leur bonheur.
Il faut qu'après une telle campagne,
Des âmes soeurs guident leurs pas,
Et que les petits orphelins d'Espagne
Retrouvent des mamans et des papas.

Loin du rêve – 1910

1
J'ai vu l'homme sans préjugé,
De nos maux rechercher les causes.
J'ai vu les compagnons longer
Les chemins semés de roses.
Le monde était régénéré
Par une nouvelle jeunesse
Qui produisait pour assurer
Le bien-être de la vieillesse.

Mais face à votre absurdité,
Au petit jour quand je me lève,
Je vois que la réalité
Est encore loin, est encore bien loin de mon rêve.

2
J'ai vu fondre les lingots d'or.
J'ai vu l'existence facile.
J'ai vu, majestueux décor,
Chacun faire un travail utile.
J'ai vu des magasins communs
Ouverts à la grande famille.
Dans les bois remplis de parfums,
J'ai vu l'amour sous la charmille.

Face à votre imbécillité,
Au petit jour quand je me lève,
Je vois que la réalité
Est encore loin, est encore bien loin de mon rêve.

3
'ai vu là-bas au pays noir
Se fermer tous les puits de mine.
J'ai vu la tristesse des soirs
S'enfuir derrière les collines.
J'ai vu le Progrès qui passait,
Créant un monde féerique.
Tout métier dur disparaissait
Devant la loi scientifique.

Mais face à votre lâcheté,
Au petit jour quand je me lève,
Je vois que la réalité
Est encore loin, est encore bien loin de mon rêve.
4
J'ai vu crouler les vieux taudis
Et les palais rester sur terre.
J'ai vu construire un paradis
Où j'avais vu tant de misère.
J'ai vu tous les hommes nouveaux
Partout désireux de s'instruire.
Et j'ai vu ces puissants cerveaux
Pouvant librement se conduire.

Mais face à votre autorité,
Au petit jour quand je me lève,
Je vois que la réalité
Est encore loin, est encore bien loin de mon rêve.

5
J'ai vu se briser les aciers.
J'ai vu brûler les préfectures.
J'ai vu crever les policiers
Et sombrer les magistratures.
J'ai vu les parlements sauter,
Disparaître la galonnaille.
J'ai vu le mot humanité
Remplacer celui de canaille.

Sur ce rêve je suis resté.
J'y songe sans repos ni trêve,
Confiant dans ma ténacité,
Pour un beau jour voir se réaliser mon rêve

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