Clovis HUGUES – 1903
Il est assez rare que l’on dédie une chanson à un auteur en particulier, c’est dire l’importance indéniable qu’a eu Jean-Baptiste Clément sur le milieu des chansonniers mais aussi celui des luttes ouvrières au XIXè siècle. Auteur de succès que ne se démentent pas (comme l’immortel Temps des cerises), journaliste, syndicaliste et membre actif de la Commune de Paris dont il sera élu dans le 18è arrondissement. L’un des derniers à se battre sur les barricades lors de la semaine sanglante, survivant caché aux répressions brutales du mouvement, il écrira l’un de ses plus fameux texte avant de s’exiler.
Infatigable combattant, il était encore actif lorsque la Camarde le fauche à 66 ans en 1903.
C’est son camarade de lutte, Clovis Hugues, qui écrit ce texte en son honneur au lendemain de sa mort. Une chanson douce-amère pleine de tendresse et de souvenir qui célèbre la vitalité du chansonnier (et par extension de ses combats) plus que sa mort.
Serge UTGE-ROYO, Contrechants… de ma mémoires Vol. 3 « La Commune n’est pas morte ! »
A Jean-Baptiste Clément
Clovis HUGUES – 1903
1.
Ne crains pas de moi, bon rêveur, mon frère,
Un de ces adieux longtemps préparés,
Où l'ode, en baignant son front de lumière,
Fait claquer au vent des rythmes sacrés.
2.
Je veux simplement et doucement dire :
A ton pauvre corps couché dans les fleurs
L'adieu qui sanglote avec un sourrire,
L'adieu qui sourit en versant des pleurs.
3.
L'ombre où tu descends te sera moins noire ;
L'aube argentera ton lit de gazon,
Et ce sera comme un rêve de gloire
Que j'aurais écrit en vers de chanson.
4.
Or, ce sera bien ton rêve et le nôtre,
En ce jour exquis, rose et printanier ;
Car si tu fus grand et beau comme apôtre,
Tu fus doux et bon comme chansonnier.
5.
Tu rêvais le bien, la vertu civique,
L'art épanoui, les hommes égaux,
Et qu'on bataillât pour la République
Avec des lilas au bout des flingos.
6.
Tu rêvais la paix, les peuples en fête,
Les glaives brisés, le réveil des droits,
Et qu'on prit aussi la taille à Lisette,
Quand on avait pris leur sceptres aux rois.
7.
La prison laisssait ta jeune pensée
Libre de railler ses pâles bourreaux,
Pourvu qu'une fleur, tiède de rosée,
Eût le temps d'éclore entre les barreaux.
8.
Tu crias : "debout ! Debout, prolétaires !
Pas de maître ici, pas de dieu là-haut !"
Tu semas ton grain dans toutes les terres :
Tu battis ton vers, quand il était chaud.
9.
Maintenant, tu dors du sommeil sans rêve,
Loin des vastes bruits qu'on jette aux échos.
Mais rassurons-nous : ta moisson se lève
Dans le rouge éclat des coquelicots.
10.
Le livre à l'enfant ! Le droit pour la femme !
Plus d'être courbés sous l'essieu du char !
Nous détrônerons de leur socle infâme
Les bardes félons qui chantaient César.
11.
Nous verrons crouler la dernière idole.
Plus d'épis humain tombant sous la faux
Nos bras tailleront des bancs pour l'école
Dans l'horrible bois des vieux échafauds.
12.
Les flots chanteront au souffle des brises :
Le dogme fondra comme un vain brouillard ;
Et quand reviendra le temps des cerises,
Chaque oiseau du ciel en aura sa part !